BAK Samuel

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Samuel Bak est né le 12 août 1933 à Vilno en Pologne, à un moment crucial de l'histoire moderne, dans une famille bourgeoise éduquée et cultivée, qui si elle se considère comme laïque, reste fière de son identité juive.
Le jeune Samuel a 6 ans lorsqu’en octobre 1939, après l'invasion soviétique de la Pologne un mois plus tôt, Joseph Staline transfère la région de Vilno à la Lituanie transformant le nom de la ville en Vilnius. Deux ans plus tard, suite à l'opération Barbarossa, l'armée allemande entre dans la ville le 26 juin 1941, suivie des escadrons de la mort. En juillet 1941 l'administration militaire allemande émet une série de décrets anti-juifs, soutenue par les dirigeants lituaniens locaux qui préconisent le nettoyage ethnique des Juifs et des Polonais.
À 8 kilomètres au sud de Vilnius, un dépôt de carburant abandonné par les soviétiques pendant leur retraite, dans la forêt de Ponary, est choisi par les Nazis et les SS, comme site d'extermination car il comporte une vingtaine de fosses de stockage. Dès le 4 juillet et tout au long de l'été, les troupes allemandes et leurs collaborateurs lituaniens, tuent plus de 21.000 juifs vivant à Vilnius, dans le cadre d'un programme d'extermination en masse.
C’est au début de septembre 1941 que les Nazis créent deux ghettos, le 1 et le 2. Les Juifs considérés comme incapables de travailler sont concentrés dans le 2. Il est détruit en octobre et tous ses habitants sont assassinés à Ponary.
La déportation des Juifs vers le ghetto 1, le ghetto de Vilnius, est lancée. Le père de Samuel est envoyé dans un camp de travail pendant que lui et sa mère fuient le ghetto vers la maison de Janina Rushkevich, la sœur de son grand-père qui avait été baptisée dans sa jeunesse. Janina trouve un abri pour les deux fuyards dans le couvent bénédictin de la ville, où la religieuse Marija Mikulska prend l'enfant sous son aile et l’initie à l’art en lui fournissant de la peinture et du papier. Mais les Allemands soupçonnent le couvent de collaborer avec les forces soviétiques et le placent sous juridiction militaire. Samuel et sa mère sont de nouveau obligés de fuir, retournant dans le ghetto de Vilnius.
Les occupants du ghetto vont vivre deux ans de tortures, de sous-alimentation, de maladie, ainsi que de déportations dans des camps de concentrations et d'extermination, ce qui aboutit à la mort de la quasi-totalité des 40.000 habitants du ghetto, exécutés pour la plupart à Ponary après un passage dans la prison de Lukiszki.
Pourtant le Ghetto de Vilnius est appelé le Yerushalayim des Ghettos (Jérusalem des ghettos) du fait de son esprit intellectuel et culturel et cela va aider le futur artiste. Si depuis son plus jeune âge les proches de Samuel lui reconnaissent de grandes qualités pour le dessin c’est au cours de l’année 1943, à l’âge de 9 ans, que son talent artistique est révélé pour la première fois lors d'une exposition de son travail organisée dans le ghetto à l’invitation de deux poètes, Avrom Sutzkever et Szmerke Kaczerginski. Sentant que leur fin est proche, les poètes décident de déposer le Pinkas, le registre officiel de la communauté juive, entre les mains de Samuel avec l'espoir qu'ils survivent tous les deux. Le papier est une denrée précieuse et les pages blanches du Pinkas invitent le jeune artiste à les utiliser pour satisfaire son envie de dessiner, ce qu’il fera au cours des deux années qui suivront, en remplissant les marges et les pages vides.
Malheureusement, cette première exposition ne restera pas exactement comme une expérience agréable et le souvenir des personnes qui l’entourent et qui quelques jours plus tard seront emmenés à Ponary, le grand champ de mise à mort de Vilnius, restera à jamais avec lui lors de chaque ouverture d'une exposition.
Un peu plus tard, le père de Samuel est envoyé au camp de travaux forcés HKP 562 installé à Vilnius, où il répare des véhicules motorisés. Samuel et sa mère le rejoindront plus tard, lors de la fermeture définitive du ghetto, le 24 septembre 1943.
Début 1944, régulièrement, les enfants, les femmes, les personnes âgées et les malades sont envoyés au centre de mise à mort de Sobibor ou fusillés à Ponary. Le 27 mars un nouveau regroupement est prévu. La mère de Samuel profite de la confusion dans le camp pour fuir tandis que Samuel se cache. Quelques jours plus tard, son père le fait sortir clandestinement du camp et la mère et le fils trouvent refuge une nouvelle fois dans le couvent bénédictin où ils s’étaient déjà cachés auparavant et vont y rester 11 mois jusqu'à la libération.
L'armée rouge s'approche de Vilnius et les SS cherchent à éliminer les juifs survivants. Les 2 et 3 juillet, les travailleurs des camps de travaux forcés, qui n’ont pas réussi à s’échapper ou à se cacher, sont rassemblés et sont abattus à Ponary, dix jours avant la libération de la ville. Jonas, le père de Samuel en faisait partie.
Lorsque Vilnius est libérée en 1944 par les Soviétiques, sur les 200 survivants de la ville, seuls Samuel et sa mère ont survécu dans la famille Bak, son père et ses quatre grands-parents ont tous péri entre les mains des Nazis.
Samuel et sa mère en tant que citoyens polonais, sont autorisés à quitter Vilnius occupée par les Soviétiques et à se rendre dans le centre de la Pologne, à Lodz où il étudie avec le professeur Richtarski. Mais ils quittent rapidement le pays et se rendent en Allemagne, en zone américaine. De 1945 à 1948, lui et sa mère vont y vivre dans des camps de personnes déplacées, principalement au Camp de Landsberg am Lech où ils sont accueillis par le survivant Natan Markowsky, qui occupe un poste de direction dans l'administration du camp et qui deviendra plus tard le beau-père de Samuel. C'est là qu'il peint un autoportrait peu de temps avant de refuser de participer à sa cérémonie de Bar Mitzvah.
Samuel est ensuite envoyé à Munich pour y étudier avec le professeur Blocherer. Là il fréquente les musées de la ville et se familiarise avec l'expressionnisme allemand.
Il peint en 1947 "Une mère et son fils", qui évoque certains de ses souvenirs sombres de l'Holocauste et de sa fuite de la Pologne occupée par les Soviétiques. La même année, les premières œuvres de l’enfant prodige, sont présentées lors d’une exposition à David Ben-Gurion, le fondateur de l'État d'Israël, en visite à Bad Reichenhall. Elles seront ensuite publiées dans le journal hébreu Davar HaShavuah et les Yiddish Forverts de New York.
En 1948, âgé de quinze ans, Samuel arrive avec sa mère en Israël à bord du Pan York. L’indépendance du pays a été proclamée en mai par David Ben Gourion et le jeune artiste débarque les bras chargés de nombreuses œuvres réalisées au camp de Landsberg am Lech.
Quelques années plus tard, en 1952, il étudie une année à l'Académie Bezalel des Arts et du Design de Jérusalem avant d’accomplir son service militaire obligatoire dans Tsahal, l'armée israélienne.
En 1956, il déménage à Paris où il poursuit ses études artistiques aux Beaux-Arts grâce à une bourse de la fondation culturelle américano-israélienne. En 1959, il s'installe à Rome où sa première exposition de peintures abstraites, à la Galerie Robert Schneider, rencontre un succès considérable. En 1961, il est invité à exposer au Carnegie International de Pittsburg, puis aux musées de Jérusalem et de Tel Aviv en 1963, sans oublier la Biennale de Venise en 1964.
C'est à la suite de ces expositions qu'un changement majeur s'opère dans son art. On constate un passage très net des formes abstraites à des moyens d'expression métaphysiques figuratifs. En fin de compte, cette transformation s'est cristallisée dans son langage pictural actuel. Le travail de Samuel Bak mêle histoire personnelle et histoire juive pour articuler une iconographie de son expérience de l'holocauste.
Au cours de sept décennies de production artistique, l’artiste a exploré et retravaillé un ensemble de métaphores, une grammaire visuelle et un vocabulaire qui privilégient finalement les questions. Son art dépeint un monde détruit et pourtant reconstitué provisoirement, et préserve la mémoire de la ruine du XXème siècle de la vie et de la culture juive au moyen d'une passion et d'une précision artistiques qui annoncent obstinément la créativité de l'esprit humain.
Samuel Bak est un artiste conceptuel avec des éléments du post-modernisme car il utilise différents styles et vernaculaires visuels, à savoir le surréalisme (Salvador Dali, René Magritte), le cubisme analytique (Picasso), le pop art (Andy Warhol, Roy Lichtenstein) et des citations des vieux Maîtres. L'artiste ne peint jamais de scènes directes de mort massive. Au lieu de cela, il utilise l'allégorie, la métaphore et certains dispositifs artistiques tels que la substitution, des jouets à la place des enfants assassinés qui ont joué avec eux, des livres au lieu des gens qui les lisent, etc… D'autres dispositifs sont des citations de prototypes iconographiques, qu’il transforme en déclarations ironiques.
Les tableaux de Samuel Bak provoquent une gêne, ils sont un avertissement contre la complaisance, un rempart contre l'amnésie collective en référence à tous les actes de barbarie, dans le monde et à travers les âges, à travers son expérience personnelle du génocide. Crématorium Cheminées ou vastes arrière-plans de paysages de la Renaissance qui symbolisent l'indifférence du monde extérieur. Celles-ci forment un contraste inquiétant avec les images cassées et endommagées au premier plan.
Depuis 1959, l'artiste a eu de nombreuses expositions dans les principaux musées, galeries et universités à travers l'Europe, Israël et les États-Unis. Il a vécu et travaillé à Tel Aviv, Paris, Rome, New York et Lausanne. En 1993, il s'installe à Boston dans le Massachusetts et devient citoyen américain. Samuel Bak a fait l'objet de nombreux articles, ouvrages savants et livres.
En 2001, il a publié son émouvant mémoire, Painted in Words, qui a été traduit en plusieurs langues. Il a également fait l'objet de deux films documentaires et a reçu le prix culturel allemand Herkomer en 2002. Samuel Bak a reçu un doctorat honorifique de l'Université du New Hampshire à Durham, de l'Université de Seton Hill à Greenburg, en Pennsylvanie et du Massachusetts College of Art de Boston.
En 2017, le musée Samuel Bak a ouvert ses portes dans la ville de naissance de l'artiste, sur les deux premiers étages du centre de tolérance du musée juif d'État de Vilna Gaon, avec une première donation par l'artiste de 50 œuvres. Bak a été nommé par le Musée juif d’État du Gaon de Vilna, puis nommé par le maire de la ville comme citoyen honoraire de Vilnius.
En 2019, la galerie et centre d'apprentissage Samuel Bak, In Loving Memory of Hope Silber Kaplan a ouvert ses portes au Holocaust Museum Houston pour abriter 128 œuvres offertes par l'artiste. Un catalogue raisonné en ligne complet existe sur www.kunst-archive.net documentant près de 8000 œuvres de l'artiste, sa longue histoire d'exposition, les collections publiques qui détiennent son travail et la littérature sur l'artiste.
Une collection d'œuvres de Samuel Bak est exposée en permanence à la Pucker Gallery de Boston, au Massachusetts et de nombreuses expositions de ses œuvres ont toujours lieu dans les principaux musées internationaux et les galeries du monde entier.
La vie de Samuel Bak a inévitablement influencé son choix d'images et de thèmes. Les détails de Vilnius et de l'Holocauste, de sa volonté de survie et d'être un juif errant, font partie de sa biographie individuelle, mais sont aussi des aspects de notre condition humaine commune. Il a toujours cherché à trouver l'universel dans le spécifique. Ses dialogues en cours avec les membres morts de sa famille, avec ses premiers enseignants, avec les grands Maîtres de toutes les époques, avec la culture contemporaine, ainsi qu’avec la Bible et la diversité des traditions juives, tous viennent de son désir de représenter l'universalité de la perte et l'endurance de l'espoir de l'homme pour un tikkun.
Le fragile équilibre entre la ruine et la réparation est resté un thème central de ses efforts afin de créer pour la conscience moderne, des images visuelles stimulantes de notre monde contemporain.
Aujourd'hui, l'artiste continue de faire face à l'expression artistique de la destruction et de la déshumanisation qui composent ses souvenirs d'enfance. Il parle de ce qui est considéré comme les atrocités indicibles de l'Holocauste, bien qu'il hésite à limiter les limites de son art au genre post-Holocauste. Il crée un langage visuel pour rappeler au monde ses moments les plus désespérés.
Samuel Bak vit à Weston dans le comté de Middlesex, au Massachusetts.