FORD Walton

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Walton Ford est né en 1960 à New York. Il grandit dans l'Amérique des banlieues, très loin des coins sauvages du pays. Autour de lui, toutes les terres étaient cultivées, construites ou occupées par des terrains de golf. Une fois par an, il regardait le film original de King Kong à la télévision et il imaginait la jungle et ce monde incroyable où la nature est tellement dangereuse. Ce fantasme était très fort, et quand ses parents l'ont emmené visiter l'American Museum of Natural History à New York, il a eu l'impression, au milieu de ces spectaculaires dioramas d'animaux empaillés, de pénétrer dans des espaces sauvages et exotiques.
S’il grandit à New York, ses parents sont issus de vieilles familles du Sud où la pêche et la chasse faisaient vraiment partie de la culture. Le système des plantations était assez proche du système des grandes demeures campagnardes en Angleterre, il y avait beaucoup de chevaux et on y pratiquait la chasse à courre avec des meutes. Il y participe durant sa jeunesse et l'idée de tuer du gibier pour le manger ne le gênait pas, ce n'est pas quelque chose qui le choquait ou le perturbait. Son père était aussi un pêcheur passionné et un homme de plein air. Il s’est donc retrouvé avec lui dans les profondeurs de la forêt canadienne à pêcher la truite. Mais ensuite, il regagnait ce monde structuré où la nature avait très peu de place. Tout jeune, il se prend donc de passion pour les lieux sauvages extrêmes et dessine des scènes violentes d'animaux qui se battent. À neuf ans, par exemple, il dessine cette meute de chiens qui attaque un ours, or tout enfant qu’il était, il savait que ce n'était pas la bonne façon de chasser un ours ! Ce n'est pas tellement différent de ce qu’il fait maintenant. Il aimait aussi ces étranges bandes dessinées underground faites par des artistes comme R. Crumb. Les films d'horreur, les monstres et les dinosaures étaient en vogue dans les années 1960 et 1970. Visuellement, cela l'excitait. Parallèlement, sa mère l'emmenait au Metropolitan Museum of Art pour lui faire découvrir les chefs-d'oeuvre de la peinture. Il tombe amoureux de ce tableau de Bruegel où des paysans font la sieste dans l'après-midi et du Jugement dernier de Van Eyck, cette vision horrible de l'enfer où des monstres dévorent les pécheurs. Quand il était enfant, il ne faisait pas de différence entre les beaux-arts et l'art populaire.
Il a du mal à finir ses études secondaires car il était un très mauvais élève, mais il était très doué en dessin et il entre à la Rhode Island School of Design. Ce qui l'a beaucoup aidé, plus que l'enseignement des professeurs, c'est de voir d'autres jeunes artistes pleins de talent, ambitieux et qui travaillaient tout le temps. En fait, il voulait étudier le cinéma, comme il savait déjà dessiner et peindre, il ne pensait pas que l'école pouvait lui apporter grand-chose sur ce plan. Il était très arrogant et il se disait, c'est trop bête, je veux apprendre quelque chose de difficile. Il trouvait que le cinéma et le théâtre pouvaient être très émouvants et que c'était un bon moyen de toucher les gens. Il a donc choisi l'art dramatique et le cinéma, mais il n'était pas très doué. En dernière année, il est parti étudier à l'étranger, à Rome et a découvert le cycle de fresques de Giotto sur la vie de saint François d'Assise. Il n'avait jamais rien vu d'aussi stupéfiant et rien dans l'art contemporain qui l'ait autant fasciné. Cette manière séquentielle de peindre lui rappelait les bandes dessinées ou les storyboards des films. Il ignorait tout de l'Église catholique et de saint François, mais il est resté dans l'église à dessiner ces fresques, à étudier comment s'organisaient les compositions. Quand il est rentré aux États-Unis et qu’il a obtenu son diplôme, il était perturbé. Il se rendait compte qu’il n'était ni un très bon réalisateur ni un acteur spécialement doué, mais il voulait raconter des histoires à un moment où personne ne s'intéressait à la peinture dans le style du début de la Renaissance. À l'époque, le mouvement néo-expressionniste occupait East Village, avec des artistes comme Basquiat. Il était beaucoup question de la fin de la figuration et on se demandait même s'il était encore possible d'être un peintre figuratif.
Son oeuvre a été et est parfois encore, accueillie avec suspicion. Personnellement, il pense qu'une peinture très travaillée, dans un style anachronique inspiré de traditions anciennes, a quelque chose de très postmoderne, mais certains critiques se plaisent à mépriser ce genre de travail. Quand il est arrivé à New York, il ne savait pas encore ce qu’il allait faire, il ne savait pas sous quelle forme raconter des histoires, mais peu à peu, il a retrouvé le goût des bêtes qu’il dessinait enfant. Il s'en était éloigné durant ses études parce que la peinture animalière paraissait totalement démodée. Finalement, il y est revenu avec ces bêtes puissantes et agressives qu’il imaginait quand il était petit. Elles ont un rapport avec son père, qui était un personnage hors du commun, charismatique et amusant, mais qui avait aussi une bonne descente, c'était un homme violent, un chasseur. Je pense que beaucoup d'artistes retournent à ce qui les a frappés quand ils étaient enfants. On éprouve un sentiment d'honnêteté quand on puise son inspiration dans ce que l'on a toujours aimé.
En 2010, il a eu une exposition personnelle au centre d'art contemporain de Berlin Hamburger Bahnhof. Le public est venu très nombreux, avec plus de 100.000 visiteurs, mais le commissaire Udo Kiddelman s'est senti obligé de défendre l'exposition à l'égard des critiques, car ceux-ci estimaient que son travail ne relève pas de l'art contemporain. Il est adulte et tient à se libérer de tout discours critique qui ne va pas dans le sens de ce qui l'intéresse. Pour lui, le choix d'un genre artistique est comparable à une préférence sexuelle. Ce n'est pas quelque chose qu’il doive expliquer ou justifier. Il est intéressant de voir comment les critiques ont abordé la carrière de Lucian Freud, par exemple. De son vivant, ils trouvaient des choses à lui reprocher et se demandaient s'il n'allait pas à contresens de l'histoire, mais après sa mort tout le monde s'est mis à apprécier son travail.
Il a l'impression en effet d'être sur un territoire que personne n'occupe. Il y aurait beaucoup à dire sur la place de l'animal dans l'imaginaire humain et ce thème a toute sa pertinence aujourd'hui. Beaucoup d'animaux sauvages qu’il a peints ne survivent que dans l'imagination des hommes. Il n'existe plus que 3200 tigres à l'état sauvage et seulement 800 gorilles des montagnes. De plus en plus, le monde est un lieu où tout ce qui est sauvage est en danger. Durant notre évolution, il y a toujours eu quelque part des créatures capables de nous manger. Pendant des millions d'années, nous avons été une viande parmi d'autres.
Psychiquement, cette idée est profondément ancrée en nous, et elle est restée une réalité jusqu'à très récemment. La bête du Gévaudan est apparue au XVIIIème siècle, à une époque où nous étions encore des proies possibles. En réalité, c'étaient des loups qui tuaient et mangeaient ces jeunes filles. En quelques siècles seulement, nous avons ainsi complètement éliminé cette peur de notre vie. Aujourd'hui, c'est un choix d'écotourisme que d'aller dans des lieux où l'on peut rencontrer un animal dangereux. Les vrais animaux sauvages, ceux qui provoquent la peur primitive que j'explore dans mon oeuvre, disparaissent progressivement. Dans Monster of God, l'écrivain David Quammen fait remarquer que beaucoup de légendes et d'oeuvres littéraires, des histoires comme Beowulf, proposent des récits de combats contre des bêtes sauvages et évoquent la terreur qu'elles inspirent. Les premiers sujets que les hommes ont peints dans leurs grottes sont des bisons, des ours, des lions et autres animaux en grandeur réelle et c'est ce qu'il fait aujourd'hui. C'est une envie primitive qui se perpétue dans notre culture, que ce soit dans la littérature ou dans des films populaires comme Les Dents de la mer ou Jurassic Park. Nous devons y penser à une époque où nous détruisons ces animaux à un rythme incroyable. 
Depuis vingt ans, il travaille sur cette idée d'une bête imaginée, celle qui vit dans la culture des hommes plutôt que dans la nature. L'animal naturel qui vit loin de nous ne l'intéresse pas, mais dès qu'il entre en contact avec l'homme, il y a matière à créer une histoire. Il se passionne pour les contes de fées, les histoires de chasse, les muséums d'histoire naturelle, les explorations et toutes ces différentes manières de côtoyer des animaux sauvages qu'on ne comprend pas totalement. Il essaie d'imaginer ces relations, de rencontrer le regard de l'animal, pourrait-on dire. C'est une démarche assez courante en littérature. Il pense à Moby Dick, Melville voulait comprendre cette terreur des baleines, de leur chasse et du combat contre ces animaux gigantesques. Ce n'est pas un thème nouveau, mais il ne connait pas d'artistes contemporains qui s'y intéressent de cette façon.
Fondamentalement, le travail de création de walton ford peut-être qualifié de "peinture littéraire". À part quelques tableaux inspirés de films et en particulier du premier King Kong, la plus grande partie de son oeuvre repose sur des choses qu’il a lues. Ici, dans son atelier, il est entouré de livres. Un ouvrage important pour lui est Camp Life in the Woods and the Tricks of Trapping and Trap Making. Ce manuel écrit au XIXème siècle explique aux jeunes Américains comment piéger des animaux pour les revendre; on y découvre une infinité de pièges et de collets plus terrifiants les uns que les autres qui permettent d'attraper toutes sortes d'animaux, oiseaux, petits et grands mammifères, mais c'est incroyablement bien écrit et d'une lecture très divertissante. Il a utilisé ces pièges dans ses tableaux, dans un double sens littéral et métaphorique. Quand il lit un texte, il en fait une image qui a un sens pour lui. Sous cet angle, oui, c'est une démarche littéraire. Et il se rend compte qu’il peint en adoptant différentes perspectives, dans ces peintures de bêtes sauvages, l'image est vue par le regard d'un homme; dans le tableau de Suzie, en revanche, il adopte le point de vue de l'animal, mais il peut aussi y avoir des mélanges. Il se souvient de Martin Scorsese disant que le plus important pour un metteur en scène est d'imaginer où il va placer sa caméra. Où est l'oeil? Dans ses tableaux, il se pose soigneusement cette question de savoir où est l'oeil.
Ses oeuvres se retrouvent principalement dans deux livres. Pancha Tantra chez Taschen, d'après le tout premier livre de fables animalières écrit en sanskrit, bien avant les Grecs et les fables d'Ésope, sa manière à lui, très pompeuse, de dire que son oeuvre s'inscrit dans une longue tradition et qu’il essaie, à travers des histoires d'animaux, d'atteindre une vérité universelle. Ainsi que Walton Ford chez Flammarion, le catalogue de l’exposition qui s’est tenu au musée de la chasse et de la nature fin 2015, début 2016.

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